Depuis son émergence, la technologie a prioritairement contribué au développement de nos économies sur le plan industriel, financier et scientifique. Si elle permet des avancées de premier plan d’une rapidité exponentielle, on constate aujourd’hui un phénomène à deux vitesses : d’une part, des secteurs liés aux « sciences dures », qui innovent sans cesse (aéronautique, médecine, informatique…) ; et d’autre part, le secteur des services qui, bien souvent, peine à renouveler son usage des technologies émergentes, engendrant des innovations « tièdes », qui améliorent l’expérience utilisateur sans réellement changer la donne.

Face à cette dichotomie, un mouvement émerge dans la Silicon Valley : « Bring Unsexy Back ». Il encourage le retour à l’innovation utile, celle qui se concentre sur la conception de solutions Tech capables de résoudre un problème à grande échelle en révélant souvent un maillon de la chaîne sous-estimé, pourtant essentiel à un marché, une industrie, ou au bien-être d’une population. Ce mouvement pose une question cruciale : plutôt que de se focaliser sur la crainte des effets pervers de l’intelligence artificielle ou du Big Data, ne devrions-nous pas concentrer notre énergie sur la nécessité d’attirer les talents et les investissements vers des réponses que la Tech peut apporter aux besoins fondamentaux ?

 

 …car la technologie répond à des besoins essentiels !

Ce sont les pays émergents, où les initiatives de soutien aux startups du numérique fleurissent, qui nous montrent l’exemple. En Afrique, où on compte plus de 300 hubs tech – un chiffre qui a doublé en 1 an[1]–, il existe plusieurs initiatives innovantes comme M-Pesa au Kenya, le système mobile de microfinance qui est utilisé par 17 millions d’individus. En Asie, on peut citer des startups comme I-Kure en Inde qui, grâce à une méthode innovante d’analyse de données médicales, permet la mise en place de politiques de santé publique efficaces dans des zones rurales confrontées aux déserts médicaux.

 

La France n’est pas non plus exemptée de la nécessité de répondre à des besoins fondamentaux non adressés. Les 4 millions de chômeurs et 8 millions de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté témoignent  du besoin d’inventer de nouvelles solutions. N’est-ce pas alors dans ces approches « For Good », qui naissent en Afrique ou en Inde, que nous devrions chercher l’avenir de l’innovation de rupture ? Une innovation technologique inclusive, durable, utile, qui saura répondre aux besoins essentiels, aujourd’hui non pourvus ?

 

De l’impact sociétal des géants de la Tech

De plus en plus d’initiatives « Tech for Good » émergent, déployées par des entreprises technologiques dont le potentiel d’innovation et l’excellence ne sont plus à démontrer : Google a mobilisé ses collaborateurs pour travailler à comprendre, modéliser et anticiper la propagation du virus Zika ; Facebook développe avec l’alliance internet.org des projets visant à remédier à la fracture numérique tout en encourageant le développement de solutions destinées à améliorer les conditions de vie et de santé en Afrique et en Inde.

Ces initiatives positives et prometteuses restent néanmoins éloignées du cœur d’activité des géants de la Tech qui pourraient décupler leur impact s’ils les développaient main dans la main avec des entrepreneurs sociaux du terrain. Ces derniers sont encore trop peu nombreux à maîtriser le numérique, alors même qu’un virage technologique permettrait le changement d’échelle de leur modèle.

 

Un Big Bang indispensable entre Tech et innovation sociale

Pour provoquer cette rencontre et faire passer à l’échelle les modèles disruptifs des entrepreneurs sociaux, il est indispensable que les grandes entreprises de la Tech s’engagent autrement, à l’image du leader de l’Internet des objets, Sigfox, qui collabore avec Gaël Musquet, fondateur de l’ONG Hackers Against Natural Disasters (HAND), pour lui permettre de déployer son dispositif de prévention et de lutte contre les catastrophes naturelles, construit grâce aux capteurs Sigfox et à l’intelligence logicielle associée. Il ne s’agit pas nécessairement de déployer davantage de moyens, mais d’explorer des cas d’usages sociétaux vraiment performants, en travaillant de concert avec les acteurs de terrain les plus innovants.

Pour accélérer la transformation numérique de l’économie sociale et solidaire, il est incontournable de rapprocher l’entreprise Tech de l’entreprise sociale, de trouver aux technologies de pointe des applications qui changent le monde, d’initier et de fédérer ingénieurs, développeurs, data scientistes… et ainsi démontrer que pour être réellement disruptive, l’innovation technologique devra servir en premier lieu l’intérêt général et devenir le levier qui permettra de résoudre, à grande échelle, les défis sociaux et environnementaux majeurs de notre temps.

 

Mathilde Aglietta, Directrice & Accélérateur Tech For Good, ShareIT & Ashoka.

 

 

[1] https://techcrunch.com/2016/12/09/africas-tech-hubs/

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